JE M'INSPIRE - Le veillissement - Le regard de Bernard Pivot
- elleadebeauxrestes
- 1 oct. 2022
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 juin 2024
Ma LEA_gée,
Sur le chemin de la reconstruction et du mieux-être, j'ai un gros travail à entreprendre sur la manière dont je perçois la vieillesse, le vieillissement et les gens vieux. Une vieille, c'est pourtant ce que je deviens et j'aimerais déjà pouvoir écrire ce mot avec plus de douceur. J'essaie. Pourquoi ai-je le sentiment que le mot "vieux" est devenu comme un vilain mot. Une insulte parfois. Un compliment jamais.
Pourquoi ce mot me semble-t-il si réducteur ?
Je n'ai pas besoin de creuser trop profondément pourtant. Ma mère avait si peur de vieillir, elle s'est d'ailleurs arrangée pour ne pas devenir une trop vieille petite dame ratatinée. Mon père a sévi plus longtemps en gardant une belle lucidité à double tranchant, c'était un beau vieux dont nous louions l'esprit alerte mais parfaitement conscient aussi de son inexorable déclin qu'il espérait épargné de trop de souffrances dues à la maladie et... à l'âge. Il n'aimait plus se montrer, se cachant derrière son téléphone filtrant son regard parfois dur et aigri sur lui-même et trompant son monde par des discours toujours drôles et charmeurs, un allant énergique et contagieux qui le gardait éternellement jeune pour ses interlocuteurs. Sa réalité était pourtant difficile.
Me revient cette remarque dégradante de ma coiffeuse peignant une cliente distinguée et parfumée en précisant qu'un cheveu blanc sent mauvais par nature, il sent le vieux quoi qu'on fasse.
Je ne pense pas que je vais plus m'aimer et m'accepter dans la version "vieille" de moi-même alors que j'ai toujours eu du mal avec la version "jeune" ou "adulte" ou "mûre" ! Je vais devoir composer entre ce que je deviens et le regard que je porte sur moi.
Trop de chirurgie et d'artifices vont peut-être permettre à une personne de se donner une apparence plus juvénile mais, en définitive, à quoi cela sert de paraître 50 ans quand nous en avons 65 ? Je préfère dans tous les cas la plus belle version de la personne de 65 ans. Vieux et beau, vielle et belle, sont des mots qui peuvent s'accorder dans une forme d'authenticité.
Il y aura toujours aussi des vieux bébés et des gamins octogénaires. ur la liste. L'âge, c'est dans la tête, moi j'ai rencontré des vieux bébés et de jeunes octogénaires.
Je vais l'écrire une fois pour toute et je n'en suis pas fière.
Pour moi, une vieille, un vieux, c'est triste, fragile, tombant, c'est lent, c'est flasque, c'est pas réactif, démodé, dépassé, c'est même pas attendrissant, peu souvent intéressant (sauf ma grand-mère). Cela s'ennuie en regardant voler les mouches. Cela lit avec une loupe. Cela devient sensible aux courants d'air et cela frisonne. Je serais hypocrite en écrivant qu'ils ou elles m'inspirent obligatoirement du respect, ce serait tout au plus de la politesse. Cela peut même avoir une odeur indéfinissable et écoeurante. S'il y a une vieille qui bave plus sympa, plus jolie, plus intelligente, elle l'était déjà au jardin d'enfant. J'ai du mal à croire que de manière générale, les vieux se bonifient. Si je force un peu le trait, la vieillesse accuse les traits. Le ou la vieillissant.e qui s'acharne à freiner les aiguilles de l'horloge à coup d'aiguilles d'acide hyaluronique, c'est pathétique à tendance vulgaire ou ridicule. Voilà, c'est dit, c'est écrit. Je n'en suis pas fière mais cela soulage un peu.
Ma priorité, actuellement, est d'être une vieille "en forme" car devenir une vieille malade, je prendrais un gros coup de vieux.
Mais qu'en pensent les autres, ceux qui en parlent, ceux qui l'expérimentent, cette sacrée vieillesse.
Il a y Bernard Pivot, par exemple, qui s'est confié. Bernard Pivot est un journaliste, animateur d'émissions littéraires et culturelles né en 1935 comme mon papa. Il appartient à la génération précédant la mienne et tu remarqueras que même s'il est vieux, je lui porte de l'intérêt. Je suis sur la bonne voie. En m'interrogeant, prête à faire mon auto-critique, je réalise qu'il m'a touché parce qu'il sait prendre de la hauteur et qu'il a invité l'humour et l'auto-dérision à l'accompagner. C'est une clé et elle me semble essentielle.. Il en donne d'autres très intéressantes.
Vieillir, c'est chiant.
J’aurais pu dire : vieillir, c’est désolant, c’est insupportable, c’est douloureux, c’est horrible, c’est déprimant, c’est mortel. Mais j’ai préféré « chiant » parce que c’est un adjectif vigoureux qui ne fait pas triste. Vieillir, c’est chiant parce qu’on ne sait pas quand ça a commencé et l’on sait encore moins quand ça finira.
Non, ce n’est pas vrai qu’on vieillit dès notre naissance. On a été longtemps si frais, si jeune, si appétissant. On était bien dans sa peau. On se sentait conquérant. Invulnérable.
La vie devant soi. Même à cinquante ans, c’était encore très bien. Même à soixante. Si, si, je vous assure, j’étais encore plein de muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà, entre-temps, quand j’ai vu le regard des jeunes, des hommes et des femmes dans la force de l’âge qu’ils ne me considéraient plus comme un des leurs, même apparenté, même à la marge. J’ai lu dans leurs yeux qu’ils n’auraient plus jamais d’indulgence à mon égard. Qu’ils seraient polis, déférents, louangeurs, mais impitoyables. Sans m’en rendre compte, j’étais entré dans "l’apartheid de l’âge".
Le plus terrible est venu des dédicaces des écrivains, surtout des débutants : « Avec respect », « En hommage respectueux », « Avec mes sentiments très respectueux ». Les salauds ! Ils croyaient probablement me faire plaisir en décapuchonnant leur stylo plein de respect ? Les cons ! Et du « cher Monsieur Pivot » long et solennel comme une citation à l’ordre des Arts et Lettres qui vous fiche dix ans de plus !
Un jour, dans le métro, c’était la première fois, une jeune fille s’est levée pour me donner sa place. J’ai failli la gifler.... Puis la priant de se rassoir, je lui ai demandé si je faisais vraiment vieux, si je lui étais apparu fatigué. "Non, non, pas du tout " a-t-elle répondu, embarrassée.
"J’ai pensé que… "
Moi aussitôt : "Vous pensiez que ? "
" Je pensais, je ne sais pas, je ne sais plus, que ça vous ferait plaisir de vous assoir "
" Parce que j’ai les cheveux blancs ? "
" Non, c’est pas ça, je vous ai vu debout et comme vous êtes plus âgé que moi, ç’a été un réflexe, je me suis levée"
" Je parais beaucoup beaucoup plus âgé que vous ? "
" Non, oui, enfin un peu, mais ce n’est pas une question d’âge " " Une question de quoi, alors ? " " Je ne sais pas, une question de politesse, enfin je crois "
J’ai arrêté de la taquiner, je l’ai remerciée de son geste généreux et l’ai accompagnée à la station où elle descendait pour lui offrir un verre.
Lutter contre le vieillissement c’est, dans la mesure du possible, Ne renoncer à rien.
Ni au travail, ni aux voyages. Ni aux spectacles. Ni aux livres. Ni à la gourmandise, ni à l’amour, ni au rêve.
Rêver, c’est se souvenir tant qu’à faire, des heures exquises. C’est penser aux jolis rendez-vous qui nous attendent. C’est laisser son esprit vagabonder entre le désir et l’utopie.
La musique est un puissant excitant du rêve. La musique est une drogue douce.
J’aimerais mourir, rêveur, dans un fauteuil en écoutant soit l’adagio du Concerto no 23 en la majeur de Mozart, soit, du même, l’andante de son Concerto no 21 en ut majeur, musiques au bout desquelles se révèleront à mes yeux pas même étonnés les paysages sublimes de l’au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés. Nous allons prendre notre temps. Avec l’âge le temps passe, soit trop vite, soit trop lentement. Nous ignorons à combien se monte encore notre capital. En années? En mois? En jours? Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous reste comme un capital. Mais comme un usufruit dont, tant que nous en sommes capables, il faut jouir sans modération.
Après nous, le déluge ? Non, Mozart.
Les mots de ma vie de Bernard Pivot
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