HUMEUR - L'âgisme dans les médias
- elleadebeauxrestes
- 14 août 2023
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 août 2024
Ma LEA_gée,
Sur le chemin de la reconstruction et du mieux-être, j'ai un gros travail à entreprendre sur la manière dont je perçois la vieillesse, le vieillissement et les gens vieux.
Au gré de mes lectures, je suis tombée sur ce texte qui parle de "vieux".
Oui, un de ces écrits d'auteurs anonymes qui sont postés sur Facebook (le réseau social des vieux) ou ailleurs. Des petites histoires avec une leçon de sagesse ou de vie à la clé, qui te font la morale, qui te dictent ce que tu dois penser, qui te façonnent, en sous-marin, en personne dite bien-pensante. L'image qui l'accompagnait devait être inspirante pour que je sois prise dans le filet et que je le lise.
Je vous livre le texte :
Un cadre supérieur a pris sa retraite et a quitté son somptueux quartier officiel pour s'installer dans une résidence de logements pour personnes âgées , où il possède un appartement. Il se considérait comme très important et ne parlait jamais à personne. Même lorsqu'il se promenait chaque soir dans le parc de la résidence , il ignorait les autres, les regardant avec mépris.
Un jour, il s'est avéré qu'une personne âgée assise à côté de lui a entamé une conversation, et ils ont continué à se rencontrer. Chaque conversation était en réalité un monologue, le cadre retraité ressassait continuellement son sujet favori : "Personne ne peut imaginer le poste important et la position élevée que j'occupais avant ma retraite ..." et ainsi de suite, et l'autre personne âgée l'écoutait tranquillement.
Après plusieurs jours, lorsque le cadre retraité s'est enquis de la situation des autres pensionnaires, l'auditeur âgé s'est permis de lui dire : "Après la retraite, nous sommes tous comme des ampoules grillées " Peu importe la puissance d'une ampoule, la quantité de lumière ou de scintillement qu'elle donnait, après elle est grillée. Il poursuivit : "Je vis dans cette résidence depuis 5 ans et je n'ai dit à personne que j'ai été membre du Parlement pendant deux mandats. Le monsieur à votre droite a pris sa retraite en tant que directeur général des chemins de fer. Celui qui est assis là-bas était général de division dans l'armée. Cette personne assise sur le banc en robe blanche immaculée était le PDG d'une grande entreprise avant sa retraite. Elle ne l'a révélé à personne, pas même à moi, mais je le sais.
Toutes les ampoules sont maintenant les mêmes - quel que soit leur voltage 40, 60, 100 watts - cela n'a plus d'importance. Le type d'ampoule qu'elle était avant d'être grillée n'a pas non plus d'importance - LED, CFL, halogène, incandescente, fluorescente ou décorative. Et cela, mon ami, s'applique à vous aussi. *Le jour où vous comprendrez cela, vous trouverez la paix et la tranquillité même ici .*
En en terminant la lecture, j'ai pensé "pourquoi tu perds ton temps à lire des niaiseries pareilles" puis je me suis dit que c'était l'occasion de m'interroger sur le "vieillir" et le "bien vieillir", un sujet qui s'invite de plus en plus souvent dans mes pensées et aussi dans les médias.
C'est une réflexion saine et nécessaire pour moi qui rejoins le coin des vieux et vieilles, qui doit presque m'excuser aujourd'hui d'être une "boomer". Etre une boomer, c'est avoir initié un processus de destruction de la planète et se voir suspecter de vouloir grever les réserves des fonds de retraite pour aller me bronzer à Ibiza sur le dos de la qualité de vie de mes enfants et en évoquant la solidarité.
Bref, en ce moment, j'ai encore plus mauvaise presse qu'avant puisque ma génération a mis Depardieu sur un piédestal en admirant outrageusement son jeu d'acteur jugé alors plus impertinent que vulgaire; a bu avec soif durant de longues années les paroles au 20h. de Patrick Poivre d'Arvor le gentleman cultivé, poète et si désemparé par l'anorexie de sa fille;
n'a pas raté une seule émission d'Ushuaïa de Nicolas Hulot le premier militant écologiste qui nous faisait trier nos poubelles tout en nous assurant que "l'émerveillement est le premier pas vers le respect"; a aimé l'arrogante beauté et la violence des propos d'Alain Delon qui a plongé ses fils dans le même désert affectif que celui de sa propre enfance tout en idolâtrant aveuglément sa fille. La "boomer" a été biberonnée à l'ignardise intelligente, à la facilité stratégique, aux vrais faux-semblant, à la franche hypocrisie et à la minceur glucosée et cela sans IA. Il ne devrait donc pas être trop difficile de me faire gober aujourd'hui que je suis une vieille (la ménagère de plus de 50 ans, la ménopausée...) qui parce que - elle a fait ou pas fait - elle a dit ou pas dit - elle a été ou pas été - elle a pensé ou pas pensé - elle va juste à avaler sans broncher le texte affligeant, voire violent ci-dessus.
En résumé son message est le suivant : un jour (toi, tu ne sais pas exactement quand mais quelqu'un te le fera savoir si tu ne l'as pas déjà compris) tu deviens "un vieux, une vieille" parmi d'autres vieux tout aussi insignifiants que toi. Tu vas changer d'identité en même temps que de statut (car plus dans la vie dite active) et tu vas devoir vivre avec de nouveaux codes. Toi "le vieux, la vieille", tu vas te taire, te cacher (tu as de la chance si c'est dans un bel appartement) et ne pas bouger un oeil. Les autres vieux seront là pour te montrer l'exemple. Tout au plus, tu pourras t'excuser car si tu ne l'as pas encore compris tu a été conne, aveugle, lâche, profiteuse, égoïste et au minimum pas assez curieuse.
Et dire qu'il y a des personnes qui likent ce genre de publication, sans doute convaincus que les vieux et vieilles sont tous et toutes des gens pas fréquentables sauf leur mère ou leur père.
Je vous dispense des détails sur les clichés utilisés dans le texte qui en remettent une couche : - le cliché du vieux con dans ce monde de vieux qui est obligatoirement un ancien cadre supérieur méprisant, malveillant et égocentrique (il a forcément trompé sa femme avec sa secrétaire) - le cliché du vieux sage (un homme, pourquoi pas une femme) parce qu'il observe, écoute, patiente et accepte son sort en se taisant. Soit dit au passage, un vieux sage bien vicieux qui attend son moment pour donner sa leçon ! (C'était peut-être sa femme, la secrétaire). - le cliché de la personne "bien", bien parce qu'elle avait un statut professionnel important et que le restera uniquement en se faisant discrète.
Je pense que ce qui me fait réagir c'est qu'il semble dans les normes qu'à partir d'un moment décidé par la société (la date de péremption peut bouger mais à certaines conditions) tu es taxé de vieux ou vieille, tu perds ton droit à être qui tu es (surtout pas de peau flasque et ridée, de bourrelets, de cheveux blancs, de lenteur), ton droit à la parole (ton expérience ne vaut rien), ta liberté de faire, penser, d'avoir été (tu déranges). Tu es sans utilité, sans intérêt, plus désirable.
Sur ce blog, je m'autorise le droit de dénoncer ce genre de texte qui nous font reculer. Personnellement, sur le chemin de la reconstruction et du mieux-être, j'ai un gros travail à entreprendre sur la manière dont je perçois la vieillesse, le vieillissement et les gens vieux alors, s'il vous plaît, ne nous flagellons pas davantage..
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