HUMEUR - Es-tu enfin en paix ma Pili ?
- elleadebeauxrestes
- 15 mai 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 août 2024
Le texte que je lirai le 25 juin 2024 lors de la petite cérémonie pour te dire au-revoir.
Mon amie, Pili, est morte soudainement à l'Ascension dans la solitude de son lit.
Elle n'était qu'une toute jeune retraitée, arrivée chez nous de son Espagne natale il y a presque 50 ans.
Elle n'avait pas eu d'enfance, Pili. Elle avait connu la vie à la ferme, aller chercher l'eau au puit, les veillées autour d'une bougie, les assiettes jamais assez remplies et les gerçures sur des doigts parfois bleuis.
Très tôt, elle était partie de Galice, Pili, avec toute la puissance de sa jeunesse , mais pas son insouciance, son 1 mètre 56 d'espoir et la nécessité d'avoir un avenir pour les siens.
Toute sa vie, elle n'a fait que travailler, Pili, sans répit, pour envoyer toutes ses économies au pays, se levant et se couchant avec la nuit, ne comptant pas ses heures et ne refusant jamais un remplacement.
A-t-elle connu le grand amour ? Elle a toujours vécu seule, Pili, le sens du devoir en étendard, sacrifiant sa vie de femme. Le décès de ses parents lui avait donné une respiration mais il était trop tard pour fonder sa famille et même avoir un amoureux.
Ses parents ont beaucoup compté mais lui ont surtout manqué. Ils étaient loin d'elle et trop silencieux en ces temps où les mobiles ne reliaient pas nos vies.
Elle n'a pas eu d'enfants, Pili, par hasard ou par choix, personne ne le saura. Elle était pourtant si maternelle dans ses gestes et ses intentions, Pili.
Elle n'était ni plus totalement d'Espagne, ni vraiment de Suisse, Pili. Elle avait la résilience de l'exil choisi.
Elle était digne et solide, Pili, elle aimait sincèrement servir les autres et leur faire plaisir sans que cela ne soit jamais ressenti comme un sacrifice.
Elle était secrète et ne parlait pas d'elle, Pili. Lorsqu'une question lui était posée, ses réponses étaient courtes et fermées, ce n'était pas un problème de langue, elle préférait ne pas donner son avis, Pili.
Elle n'avait jamais un mot plus haut que l'autre, Pili, mais son regard pouvait s'enflammer et disait tout, en forçant le respect. Elle ne disait jamais je comprends, Pili, mais elle comprenait.
Elle savait exactement ce qu'elle voulait Pili. Difficile de prendre soin d'elle. Elle n'aimait pas les bras trop affectueux autour de sa taille, les attentions trop marquées, elle avait besoin d'espace et de liberté, Pili.
Elle avait du goût, Pili, toujours un joli collier sur son corsage, un léger maquillage, une coiffure impeccable et de beaux ongles vernis.
Elle ne nous a jamais invité chez elle Pili car elle vivait dans un tout petit studio. Pour compenser, elle allait chez ses amis, des sacs remplis de victuailles, invitait dans des restaurants chic et offrait du champagne et des parfums. Sa générosité nous gênait en sachant qu'un sou restait un sou pour elle..
C'était une cuisinière hors pair, Pili. Elle te ravissait de bons petits plats hispaniques, souvent de denrées raffinées pour les fêtes dont elle se plaisait à te voir plus que repu avec le regard de ceux qui ont manqué. Il n'y en avait jamais assez.
Elle disparaissait toujours avant le dessert Pili pour faire la vaisselle justifiant son repli en cuisine parce qu'elle n'aimait pas le sucré, tout au plus un bout de turron à Noël en souvenir du passé.
Nous la retrouvions souvent sur le balcon ou l'allée, Pili, où elle fumait discrètement ses inséparables cigarettes.
Pili, je ne la voyais pas tous les jours mais elle faisait pudiquement partie de ma vie. Nous savions que nous étions amies. Elle était là, souvent seule, quelque part, mais là où elle avait envie d'être. Elle semblait heureuse et fière de son indépendance, Pili. La retraite lui avait fait prendre quelques kilos de bien-être mais elle prenait enfin un peu de bon temps pour elle-même.
Que t'est-il arrivé Pili ? Aurait-il été possible de te secourir ? C'est la police qui t'a retrouvée car tu ne nous répondais plus. Elle a appelé ta famille en Espagne qui m'a retrouvée grâce à Facebook.
C'est sur ce réseau social, où nous étions aussi amie, que j'ai choisi pour te rendre le petit hommage au nom de tes proches que je te lis aujourd'hui. C'était un moyen d'informer aussi ton entourage plus lointain, Pili.
Je ne sais que dire, faire ou penser face à ce départ sans au revoir et dans la pudeur qui te caractérisait. Tu me manques beaucoup Pili, J'imagine que tu avais gardé la foi et je pense que ta belle âme repose en paix enfin, bercée dans tout l'amour que tu nous as donné.
Merci ma Pili !
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